lundi, juin 12, 2006

La proie de l'ombre : II

Que suis-je devenue ? Ma peau se décompose prenant une couleur grise nécrosée, laissant apparaître mes os par endroit. Mes cheveux ont perdus leur roux flamboyant d'origine et sont ternes maintenant.

Mon maître rirait bien en me voyant ainsi. Lui qui ne jurait que par ma beauté. Lui qui hésitait à me céder au plus offrant pour me garder pour lui seul. Ma beauté fut ma perte, peut être est ce mieux ainsi. Je suis là, dans la petite chambre face au miroir, je suis prise d'un fou rire hystérique, un rire fou, un rire qui ne semble jamais vouloir s'arrêter.

Même dans la non vie, il me poursuit dans mes pensées. Pourquoi ne l’ai-je pas oublié ? Pourquoi ne suis-je pas morte une bonne fois pour toute ? Pourquoi m'a t'on refusée ce repos du corps et de l’âme auquel j'aspire tant ?

Serait-il possible que mon maître ne soit pas vraiment mort non plus ? Serait il possible qu’il hante, comme moi, les couloirs de la non vie ? Je tremble à cette idée. Si mes yeux le pouvaient encore, ils laisseraient échapper des larmes de rage, des larmes de désespoir.

Le diablotin me fixe d'un air sarcastique, comme toujours. Un jour je lui ferais baisser le regard, un jour ce sera moi qui me jouerais de lui ! Il refuse de m'expliquer le pourquoi de sa présence invisible les quelques jours précédents ma mort. Je ne sais ce qui me retient de l'attraper par la gorge pour lui faire avouer ses sombres projets. Mes mains se serrent convulsivement à cette idée.
Mais j'ai besoin de lui et je finirais bien par apprendre les raisons de sa présence à mes côtés. Je n'ai pas été maîtresse de mon destin étant en vie, je compte bien l'être dans la non vie.

Mon compagnon cornu est étrange ces derniers jours, il semble avoir des moments d'absence. Il marmonne parfois quelques obscures paroles dans une langue qui m'est inconnue. Lui qui veille sur moi comme un professeur sur un élève difficile depuis le début, semble être occupé par quelque chose ou quelqu’un… étrange... Je profite de ces quelques moments de vigilance relâchée, pour m’interroger. Pourquoi moi ? Serais je deux fois maudite ? N’ai-je pas assez payé pendant ma vie ? Ai-je encore une tâche à accomplir pour qu'enfin le repos éternel me soit accordé ?

Je tourne en rond, l'inactivité me pèse. Je rêve éveillée, je crois apercevoir le cadavre de mon maître du coin de l'oeil. Il est là, il m'observe. Je me retourne nerveusement, mais ce n'est qu'hallucination, je suis seule avec le diablotin dans la petite pièce que je commence à connaître dans les moindres détails. J'aimerais hurler, extérioriser cette rage qui est en moi depuis toujours. Mais le diablotin me surveille. Je ne peux m'empêcher de frissonner, étonnant que je le puisse encore malgré mes chairs mortes.

J'ai soif d’actions, de combats, sentir les lames qui se brisent, entendre les cris des mourrants, voir le sang couler… Dans ces moments seulement, je retrouve un semblant de calme... de sérénité ? Je peux sentir une puissance nouvelle parcourir mon corps décharné, faisant parfois surgir un sourire sur mes lèvres sans vies.